Le dessous des cartes
Décidément, plus nous avançons dans la crise du traitement français de l'évacuation des enfants haïtiens en cours d'adoption, plus m'apparaît clairement le visage idéologique qui conduit la politique de l'adoption dans notre pays.
Il m'aurait fallu plusieurs années et une immersion permanente dans le microcosme de l'adoption pour apprendre ce que j'ai appris en trois mois. Et mon premier constat est que quand on se lance dans l'adoption, on ne connait généralement rien à ce microcosme, qui tient pourtant dans sa main une partie de l'avenir de votre famille. Je dirais que le microcosme de l'adoption, c'est un peu comme le microcosme des prisons : tant qu'on n'est pas directement concerné, on se passe volontiers de mesurer ses dysfonctionnements et aberrations.
On le savait depuis plusieurs mois, Bernard Kouchner et Nicolas Sarkozy veulent supprimer l'adoption individuelle. Ils sont suivis en partie à ce sujet par EFA qui n'a pas communiqué, à ma connaissance, à l'encontre de ces prises de positions.
Bien entendu, l'argument avancé est la nécessité de sécuriser les familles, d'éviter les pratiques douteuses, de raccourcir les délais... Autant de vœux pieux louables mais absolument pas crédibles. Car dans les faits, l'absence totale de volonté politique pour atteindre ces objectifs est patente depuis de longues années et, je suis au regret de peut-être vous l'apprendre, pour encore longtemps. L'AFA est un fiasco permanent depuis sa création. Les OAA sont toujours mal réparties sur le territoire et leurs moyens et capacités sont insuffisants... Et çà ne va pas changer (de même d'ailleurs concernant le vœux réitéré mais jamais mis en œuvre, de faciliter l'adoptabilité de nombreux enfants français).
Seuls les naïfs peuvent croire que la suppression des adoptions individuelles va s'accompagner d'une amélioration « qualitative ». Car la qualité a un prix (parlez-en par exemple avec vos amis profs). Toutes les associations qui, semble-t-il, revendiquent de vraies réformes depuis de longues années, ont échoué. Leur échec à elles aussi, est patent.
Non, la suppression de l'adoption individuelle aura exclusivement 2 conséquences :
- La diminution du nombre d'adoptions. Cela permet d'atteindre l'objectif idéologique qui veut absolument que les enfants restent dans leur pays coûte que coûte (et quand je dis coûte que coûte, vous avez compris qu'il s'agit y compris de la mort de ces enfants). C'est la politique de l'UNICEF et du couple Kouchner/Sarkozy
- L'éviction du processus d'adoption de la plupart des adoptants sortants de la norme familiale dominante. En gros : papa, maman et deux enfants. Exit les familles nombreuses, les célibataires, les homosexuels, les plus de 40 ans...
Ce n'est pas l'adoption individuelle en soi qui est visée, ce sont ceux qui sortent du moule.
J'ai été frappé de découvrir à l'occasion de la création de notre collectif « SOS Haïti Enfants Adoptés » à quel point se retrouvaient concentrés ici ceux qui « ne rentrent pas dans la case ». Ceux qui ne correspondaient pas aux critères de la plupart des pays. Ceux qui ont été rejetés par les OAA. Ceux à qui l'on a dit (ou pas dit mais le silence était assourdissant), « de quoi vous vous plaignez, vous avez déjà des enfants », « trouvez-vous d'abord un mari », « un enfant, çà a besoin d'un Papa et d'une Maman », et j'en passe...
Cette histoire haïtienne a déjà fait des dégâts au sein du microcosme de l'adoption en France ; des psys se sont compromis avec le pouvoir et le payeront sûrement plus tard au sein de leur profession, des associations ont quitté le MASF en claquant la porte, EFA va probablement avoir un trou d'air dans ses adhésions. M'est avis que ce n'est pas fini, car l'enjeu haïtien est en fait un révélateur d'une ligne de fracture idéologique profonde entre les tenants de la norme familiale dominante et ceux d'une certaine liberté de projets familiaux plutôt « hors-norme ».
Je me demande s'il n'est pas temps que tous ces « hors-norme » se regroupent pour se faire entendre. Car il est manifeste que ce n'est pas le cas au sein des organisations existantes.
Grégoire Villedey